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LA REVUE BANQUE N° 518 - JUILLET-AOÛT 1991


GESTION ET TECHNIQUE BANCAIRES

UNE GESTION OPERATIONNELLE DU RISQUE DE TAUX GLOBAL

Par Michel d’AGATA
Responsable du Service Trésorerie et Gestion Financière à Unicrédit

Et Lene BUTTIN-KRISTOFFERSEN
Responsable du Conseil en Gestion du Risque de taux à Unicrédit

Le débat autour des modèles théoriques de gestion du risque de taux tend à négliger l'appréciation de leurs prolongements concrets, seuls déterminants pourtant d'une gestion effective des risques identifiés.
A cet égard Unicrédit dispose d'une expérience, qui peut s'appliquer à toute banque commerciale désireuse de maîtriser ses marges dans un environnement de taux très volatiles et de références de marché multiples.
A Unicrédit, le suivi du risque de taux est localisé auprès du responsable de la trésorerie et de la gestion financière, qui centralise les besoins en ressources nécessaires au refinancement des prêts à la clientèle et qui les satisfait en intervenant directement sur le marché.


La mesure de l'exposition de l'établissement au risque de taux suit deux voies complémentaires.

La première consiste à retourner fictivement dans le marché toutes les lignes de bilan, catégorie de taux par catégorie de taux. La valeur actuelle des marges ainsi identifiées permet d'apprécier la richesse de l'établissement, et sa sensibilité à une modification des taux d'actualisation fournit une mesure possible du risque de taux. Toutefois, ces résultats sont trop synthétiques pour servir de base a une gestion opérationnelle de l'exposition.

C'est pourquoi une deuxième voie a été développée qui prend en compte le système d'information de la banque, sa cadence de mise à jour, des simulations de modifications de bilan et de taux, leur impact sur le produit net bancaire de l'année en cours et sur l'année suivante, le respect d'une limite de risque, bref le quotidien d'un trésorier. Celui-ci, selon une périodicité mensuelle ou dès que la situation l'exige, informe le directeur général. Au sein du comité ainsi constitué s'élaborent les réponses à apporter à différents scénarios.

C'est cette démarche qui a abouti à la conception d'un outil exclusivement opérationnel que nous nous proposons de développer maintenant.

A un instant donné, l'outil de gestion du risque de taux produit l'échéancier mensuel des gaps de taux fixe c'est-à-dire des excédents d'actif (gap > 0) ou de passif (gap < 0) à taux fixe. Soit pour un établissement fictif à fin juin 1990 :

 

juil. 90

août

sep.

oct.

nov.

déc.90

jan. 91

fév.

mars

avr.

juil.

déc.91

déc.92

déc.93

déc.94

déc.95

Actif

23000

19000

17000

16000

16000

15000

15000

15000

15000

9000

9000

9000

4000

4000

4000

4000

Passif

19000

16000

16000

10000

10000

9000

9000

9000

9000

9000

8000

5000

5000

5000

0

0

Gaps

4000

3000

1000

6000

6000

6000

6000

6000

6000

0

1000

4000

-1000

-1000

4000

4000

L'année en cours (n) et l'année suivante (n + 1 ) sont prises en compte sur une base mensuelle (stock d'actifs à taux fixe en fin de mois diminué du stock de passifs à taux fixe en fin de mois), tandis que les autres gaps sont calculés annuellement (au 31 décembre). Le choix des intervalles dépend bien sûr de l'analyse plus ou moins fine que l'on souhaite mener.

Graphiquement le profil de risque sera comme suit :

Face à un profil de risque donné, le gestionnaire de risque doit choisir entre quatre attitudes possibles:

Le premier critère de choix est bien entendu celui du respect de la limite de risque définie par la direction générale.

Supposons que cette limite concerne l'année en cours et s'exprime en pourcentage du PNB. Elle est réévaluée chaque mois en fonction des marges financières réellement engrangées, et du PNB projeté jusqu’à la fin de l'année à partir du TMP cristallisé.

Elle est complétée par deux indicateurs qui traduisent les contraintes de temps et de modification de l'environnement :

Si aucun de ces deux indicateurs ne bute contre la limite de risque, et donc si aucune opération ne s'impose au gestionnaire, celui-ci utilise le module intégré de simulation afin de connaître, pour toute intervention envisagée :

La décision du gestionnaire de risque dépend bien sûr aussi des conditions de marché sur les différentes échéances et de ses propres anticipations.

Enfin, dans la mesure où son travail porte sur l'ensemble du bilan, il n'effectue pas de gestion trop fine des écarts, mais se contente d’écrêter les gaps les plus importants. Ainsi:


Exemple

En reprenant l'échéancier de bilan ci-dessus, on considère les conditions de marché et la limite de risque suivantes :

Courbe de taux sur les swaps à fin juin 1990 :

1 mois

2 mois

3 mois

4 mois

5 mois

6 mois

9 mois

12 mois

18 mois

24 mois

9,81

9,88

10

10,06

10,13

10,13

10,15

10,25

10,43

10,56

Tmp cristallisé = 10 %
Limite de risque = PNB projeté 1990 = 200
5 % du PNB = 10


On suppose que la variation simulée du TMP est fixée arbitrairement à + 0,50 %. Le module de calcul met alors à jour les paramètres de contrôle, et affiche les valeurs suivantes :

  Pendant les 6 derniers mois de 1990 En 1991
Coût de portage des gaps à + 0,50 % de TMP

- 10,833

-11,25

Impact de la fermeture des gaps de 1990

-3,342

XXX

Impact de la fermeture des gaps de 1991

-4,2

-11,325

Alors que la fermeture des gaps de 1990 et 1991 n'est pas obligatoire, parce que son coût sur la fin de 1990 (7,542) n'excède pas la limite prescrite, le portage des gaps à un TMP dégrade sur 1990 conduit à un dépassement de cette limite. Notons que le calcul sur 1991 fonctionne comme un clignotant qui signalerait un report de risque trop important d'une année sur l'autre.

II faut donc effectuer au moins une couverture partielle du bilan en 1990, conformément aux principes énoncés plus haut :

Supposons que l'on opte pour la dernière solution. Un swap à terme est alors simulé, de la façon suivante:

I1 en résulte une annulation complète des gaps entre octobre 1990 et mars 1991.

L'intégration de cette opération de hors-bilan conduit à un recalcul des paramètres de contrôle :

  Pendant les 6 derniers mois de 1990 En 1991
Coût de portage des gaps à + 0,50 % de TMP

- 3,333

-3,75

Impact de la fermeture des gaps résiduels de 1990

+ 0,558

XXX

Impact de la fermeture des gaps résiduels de 1991

-3,6

-9,075

Coût de l’opération de couverture

-4,5

-2,25

Ces valeurs étant conformes à la limite de risque, l’opération peut être exécutée réellement. D’où le nouveau profil de gaps de l’établissement :


Les instruments de la gestion du risque de taux

Le bilan lui-même peut être un instrument de gestion si l'on décide d'allonger ou de raccourcir à bon escient la durée des emplois et/ou des ressources nouvelles.

Naturellement ces ajustements exigent un certain délai de mise en œuvre.

Pour toute intervention rapide, l'instrument privilégié est le hors-bilan, et en particulier le swap de taux, qui synthétise l'ensemble de la courbe des taux et offre une grande souplesse :

Le risque de contrepartie issu d'une utilisation intensive des swaps ne doit pas être négligé, mais faire l'objet d'un suivi indépendant d'évaluation et de fixation de limites.

Les options de taux, enfin, offrent une dernière possibilité d'intervention, mais exigent certaines précautions d'emploi.


La gestion des options de taux

La prise en compte des options est sans doute le point le plus complexe de la gestion opérationnelle du risque de taux, d'abord parce qu'il s'agit d’identifier l'ensemble des options du bilan, implicites ou explicites, ensuite parce qu'il faut adopter une méthodologie de traitement homogène avec les autres lignes d'actif et de passif.

A titre d'exemple, un bilan peut comporter des options cachées au passif sous la forme d’obligations à taux variable avec un plancher ou un plafond.

Par ailleurs, le traitement " risque de taux " des options simples (caps et floors) diffère de leur traitement comptable :

Cela signifie que seules les options d'une valeur intrinsèque non nulle apparaissent dans un échéancier de gaps.


Exemple :

Le 1/8/90 achat de cap à 10 % contre T4M sur un an pour 100 MF.

Cette option garantit de recevoir pour tout TMP supérieur à 10 % la différence positive entre les deux taux, c'est-à-dire équivaut à une position prêteuse de taux variable (on reçoit TMP) et emprunteuse de taux fixe (on paie le strike à 10 %).

L'option sera donc traitée comme un emprunt à taux fixe, lorsqu'elle est dans la monnaie :

Profil de gaps sur le 4° trimestre 90 pour un TMP figé à 11 % 1/10/90 1/11/90 1/12/90 1/1/91
Achat de cap - 100 - 100 - 100 - 100
Profil de gaps sur le 4° trimestre 90 pour un TMP figé à 9 % 1/10/90 1/11/90 1/12/90 1/1/91
Achat de cap 0 0 0 0

En définitive la prise en compte des options dans un échéancier de gaps se résume au tableau suivant :

  A cap X % V cap X %   A floor X % V floor X %
En dehors de la monnaie

XXX

XXX

Dans la monnaie

P TF

P TV

Dans la monnaie

P TV

E TF

P TF

E TV

En dehors de la monnaie

XXX

XXX


Du fait de son caractère instable un gap de taux optionnel est plus délicat à couvrir qu'une position de risque classique. Les options elles-mêmes constituent certes l'instrument de couverture naturel, mais elles sont souvent peu liquides, donc chères, et peuvent avoir un prix d'exercice très différent des options à gérer.

Quant aux swaps ils offrent une couverture imparfaite, parce que non adaptée au profil asymétrique des options, et dont l’ajustement peut engendrer des pertes.

En effet, en reprenant l'exemple ci-dessus pour le vendeur d'options :

Le 1/8/1990 vente de cap 10 % contre T4M sur un an pour 100 MF. On souhaite se couvrir sur le dernier trimestre, le T4M valant 11 %. Le sens du swap sera E TF.

Profil de gaps

1/1/90

1/2/90

1/3/90

1/4/90
Vente de cap

+ 100

+ 100

+ 100

+ 100

Swap E TF

- 100

- 100

- 100

- 100

Net au 1/8/90

0

0

0

0

En supposant un décalage immédiat de toute la courbe des taux vers le bas, le TMP s’établissant à 9 %, la ligne de cap vendu disparaît de l’échéancier :

Profil de gaps

1/1/90

1/2/90

1/3/90

1/4/90
Vente de cap

0

0

0

0

Swap E TF

- 100

- 100

- 100

- 100

Net au 1/8/90

- 100

- 100

- 100

- 100

Ajuster la couverture signifierait donc effectuer un swap P. TF sur la période résiduelle, alors même que les taux ont baissé: on retrouve là le principal inconvénient de toute position vendeuse d'options tic (c’est-à-dire une gestion " gamma moins " de la couverture).

L'acheteur d'options en revanche paie la prime, mais gère sa couverture contre le risque de taux dans des conditions financièrement favorables.


En conclusion, quelques idées simples sont à retenir dans le cadre d’une gestion opérationnelle du risque de taux.

La notion de risque de taux recouvre en réalité deux types de gaps, à savoir les gaps de taux fixe fermes (hors options de taux) et les gaps de taux fixe flottants (issus des options de taux).

La nature du gap, et sa sensibilité à une micro-variation du TMP, conditionnent le choix de l'instrument optimal de couverture.

La gestion du risque de taux implique par définition une parfaite transparence dans sa mise en œuvre et un strict respect des règles du jeu :

Dans ces conditions seulement la gestion du risque de taux atteint son véritable objectif d'outil stratégique, entièrement lié au bilan et, à ce titre, piloté par la direction générale.

C'est pourquoi en termes de contrôle de gestion, la performance financière du risque de taux ne saurait être confondue avec celle des autres opérations de marché : le résultat dégagé dépend du bilan et s'analyse, en cas de pertes, comme une prime d'assurance, permettant à la fois de limiter la dégradation du bilan et de garantir la pérennité de l’activité bancaire.

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